
Gris de Peyne
n’est pas gris de peine,
gris de Peyne
est la soie mélancolique de ses yeux clairs,
le sourire léger de ses lèvres closes
le souvenir d’une promesse
qui a été faite un jour
comme si un lointain amour
pouvait encore advenir.
Gris de Peyne
n’est pas gris de peine,
gris de Peyne
est la soie mélancolique de ses yeux clairs,
le sourire léger de ses lèvres closes
le souvenir d’une promesse
qui a été faite un jour
comme si un lointain amour
pouvait encore advenir.
Je n’ai pas de chaussures ailées pour atteindre le sommet de l’Annapurna
mes jambes se fatiguent et mes pieds me font mal en montant sur les escaliers
qui gravissent les flancs des collines au bas des Annapurnas
et pourtant mon regard est tendu, mon âme est fouettée d’air pur
lorsque j’essaie d’atteindre le plus près que je peux des Annapurnas
les villages sont en haut des berges les buffles tirent les charrues
si rudimentaires, les papillons fleurissent et les martin-pêcheurs brillent
dans la vallée de la Gandaki, la rivière qui franchit l’Himalaya
va jusqu’au Tibet, sépare le Daulaghiri de l’Annapurna
je monte au belvédère d’où les montagnes s’animent,
le Macchapucchre s’incline, et me montre son chapeau bicorne
l’Annapurna sud ronfle comme un musicien endormi
et plus loin, luit le glacier suspendu, l’eau de cristal aux reflets
de ciel bleu, de cloches et de lumière accrochée au flan des Annapurnas,
la route empierrée se cache sous les pins géants, les micocouliers,
les rhododendrons enchapeautés, couverts de givre le matin de poussière
de soleil dans la journée, les rochers jaillissent des cours d’eau bouillonnante
et nos pas palpitent, nos souffles s’accordent au bruit,
des oiseaux circulent et nous montrent la voie à suivre jusqu’au temple
en pagode à trois étages, rouge, et régnant sur les vies paysannes,
un balcon s’offre à nous, nous y dormons, la jeune Gurung
emplit nos bols d’un riz luisant, les lentilles ne tarderont pas
nous aurons la nuit pour dormir, et le vent, dehors, qui fera battre
les tôles d’un jardin habité de tendres étoiles.
Je vois la terre s’évanouir
elle-même ne peut plus supporter
ce que voit chaque jour et chaque nuit
le moindre petit enfant qui n’en peut mais
le ciel s’ouvre
sous les éclats du feu
l’ombre embrase les puits ensanglantés,
l’hiver n’est plus là
l’herbe est au chômage
Ô jeunes morts
et vous femmes qui courrez
Ô vieux soldats
qui croyiez que la mort serait plus douce
à regarder
le vent ça n’existe plus
la pluie ça n’existe plus
la neige n’en parlons plus
il n’y a plus que les gravats
et de lointaines mares de glace
il n’y a plus que les cendres.
Je suis parti à l’aube
pour ne pas effrayer ma compagne qui dort
J’ai chargé sur mon épaule
les armes dont je ne sais pas me servir
j’ai ployé le dos
sous des avalanches
demain je serai loin parti au front
je me battrai pour mes frères et mes sœurs
sans espoir
mais sans relâche
pourrons-nous encore un jour chanter ?
Danser avec les femmes ?
Voir où sont les blés.
L’ennemi nous a brûlés,
il a converti nos fleuves en canaux
de sang noir
le pétrole nous aveugle
nos mains nues s’écorchent
aux tourelles de leurs chars
il n’y a plus rien il n’y a plus les éléments
l’air est aspiré par les cratères des bombes,
le feu se mêle aux armements
l’eau est salie par les cendres
et la terre disparaît sous l’amas des tombes
UKRAINE
pays plat fait pour une vie sereine
pays de céréales et de musique,
maintenant perdu, maintenant flétri
par les autres, là,
ceux qui déjà forçaient
Syriens et Caucasiens
à rendre gorge sous les cris
et découpaient au couteau
les bouches qui voulaient rire.
Depuis février de l’an dernier, je ne me promène plus dans Grignan en pensant que je vais le voir surgir au détour d’une ruelle, près du château, ou bien à la librairie « Ma main amie » tenue par son amie. C’était jusque là toujours ce que j’espérais. Mais lui aussi nous a quittés. La poésie de Philippe Jaccottet est très particulière, inclassable, elle fait montre d’une grande discrétion. En même temps, elle dit ouvertement les choses. Elle ne va jamais à l’image facile, elle est faite de sonorités qui font comme une musique en sourdine. Il n’y a pas mieux qu’elle pour évoquer les recoins de la nature, surtout ceux des « collines basses de la Drôme ». Ce portrait est inspiré d’une photo qui a beaucoup circulé, et qui le représente à un âge déjà avancé, les deux mains nouées sur le pommeau d’une canne, et le regard plein de sollicitude.
Oh, ce feu qui court encore une fois à l’aurore
Né du sommeil de l’horizon
et sur les vitres cette salive de gel
Le feu qui s’embrase parce que les montagnes sont couchées
parce qu’elles ont fermé les yeux
Dans le bleu du sommeil un feu commence
Montagnes rêvant
Amoureuses
(La Semaison, janvier 1963)
En ce noël 21, André Compondu nous a quittés,
je l’ai bien connu, c’était un ami,
c’était un bon copain
c’est lui qui nous avait vendu
cette maison, celle où je suis
au moment où j’écris
c’est lui qui l’avait faite
ou bien refaite
cette maison qui existait déjà
quand sur elle, il mit son dévolu.
Alors il a comblé les trous,
il a refait la toiture,
il a mis le chauffage
un poêle à bois tout simple
et il a accroché devant la porte
un morceau de laine bleu
pour éloigner les mouches,
et peint les volets lavande
vingt ans il y a vécu
avec sa femme Michelle
ils venaient pour les vacances
ils roulaient la nuit
parfois il venait à vélo
car il était cycliste
et aussi bien sûr écologiste
notre ami Compondu
un jour il s’était ouvert le front
à un rebord de rond-point
et il portait depuis
de belles cicatrices.
Sa mort aujourd’hui
me rend triste
car j’aimais bien mon copain,
André Compondu.
Il était plein de sagesse,
il était moine zen
et m’avait dit un jour
que de sa vie l’on n’est pas maître,
que le train à jamais nous emporte
au nez et à la barbe
des années mortes.
En ce noël 21,
il est mort notre ami
il était très serein
à ce que l’on a dit,
il a du penser jusqu’au dernier moment
que la mort
était encore un bout de sa vie.
Dans La panthère des neiges (beau film sur la nature), Sylvain Tesson dit à son compagnon Vincent Munier qu’il y a deux sortes d’artistes, ceux qui cherchent inlassablement à mettre en valeur ce que la nature et la vie ont indéniablement de beau en dépit des horreurs et des souffrances qui existent aussi, et ceux qui approfondissent la souffrance et le désespoir afin de mieux les comprendre. Les deux tendances sont aussi respectables l’une que l’autre. David Hockney appartient à la première. Il se distingue donc radicalement de peintres comme Baselitz ou Kiefer. On ne peut pas appartenir aux deux courants à la fois. Il faut choisir. Nous ne bouderons pas notre plaisir face à cette guirlande de dessins que constitue A Year in Normandy (tous exécutés sur iPad).
Exposition A Year in Normandy – Musée de l’Orangerie, jusqu’au 14 février 2022
Peter Handke est un écrivain que j’aime énormément. Depuis L’angoisse du gardien de but au moment du pénalty jusqu’à La voleuse de fruits, en passant par La femme gauchère, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, les essais sur la fatigue, sur le juke-box ou la journée réussie ou bien encore L’essai sur le fou de champignons, ou bien la Nuit morave ou Mon année dans la baie de personne, et bien d’autres livres encore, il apporte à notre attention des récits, des méditations pleins d’une intense poésie, légèrement décalés. Le moment, l’instant brillent en eux comme des pierres précieuses. On lui a fait mille procès parce qu’il n’était soi-disant pas du bon côté pendant la guerre d’éclatement de la Yougoslavie, il a justifié sa position par la fidélité. J’ai été heureux lorsque j’ai appris qu’il avait enfin reçu le prix Nobel de littérature, en 2019. J’ai alors exécuté ce portrait d’après une photo parue dans Télérama. Si je le rencontrais un jour, je serais trop intimidé pour lui dire quoique ce soit. Dans une interview à la radio, un jour il racontait qu’il aimait sortir le soir pour aller à Paris, notamment pour suivre des matches de foot dans les bistrots, l’intervieweuse lui demandait s’il n’avait pas peur de prendre le RER tard la nuit. Il avait répondu : non, je crois que c’est moi qui fais peur aux autres.
Il y a quelques semaines, étant tombé sur un magnifique portrait photographique de Joan Didion dans « le Monde magazine », je m’en suis inspiré pour faire ce portrait à l’acrylique. Je viens d’apprendre son décès, à l’âge de 87 ans. Comme beaucoup de lecteurs j’avais fait sa connaissance à l’occasion de la parution en français de son livre « L’année de la pensée magique ». Ce devait être en 2006. Elle y relatait la mort de son mari avec qui elle avait un lien quasi fusionnel – bien qu’ils fussent tous deux écrivains, et donc en concurrence l’un avec l’autre – ainsi que la maladie, ayant entraîné un coma prolongé, de sa fille, Quintana, la même année. Ce livre demeure comme l’une des expressions les plus fortes et authentiques de ce qu’est un deuil. Ce que j’aime particulièrement chez elle, mais aussi chez nombre de ses confrères américains comme Jay McInnerney ou Bret Easton Ellis, c’est la manière dont elle s’empare de la vie, du quotidien, à bras le corps. Directement. Sans chichis.
A l’époque où la photographie apparaissait, bouleversant le champ des arts plastiques, faisant qu’à jamais le réalisme que l’on dit aujourd’hui « photographique » fût abandonné, il y eut des peintres pour incarner couleur et lumière, Pierre Bonnard est de ceux-là, il a traduit le fait que notre source de vie, d’énergie, notre source de beauté est dans la lumière du soleil, ainsi les chairs nues de ses femmes adorées se transformèrent en globes et en lampes, en foyers ardents, en scintillement des eaux sous les rayons solaires.
Exposition « Bonnard, les couleurs de la lumière », musée de peinture de Grenoble, jusqu’au 30 janvier 2022
Tu es né à Deutschbaselitz
plus tard appelé Grossbaselitz
Hans-Georg Kern tu t’es appelé Baselitz
homme de Saxe et de RDA
parti vers l’Ouest
où tu as voulu mettre
le monde la tête en bas,
tu as voulu tronçonner le réel
pour que plus rien ne tienne
tu disais l’ordre j’en ai fait le tour
désormais le monde peut bien vivre à l’envers
sans attache
hormis les racines au ciel
le réel se débite
en tranches
comme les troncs des arbres
dont tu fis des sculptures
les montagnes bleutées
les blés jaunes
et les absentes ramures
sont en désordre
comme les bras rouges des chaises
croix sinistres
et ton autoportrait fragile
porte mémoire d’un monde absent
où il ne restera plus rien
que le rouge du sang
Rétrospective Baselitz – Centre Pompidou – 20 octobre 2021 – 7 mars 2022