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Poésie portrait

Philippe Jaccottet

Depuis février de l’an dernier, je ne me promène plus dans Grignan en pensant que je vais le voir surgir au détour d’une ruelle, près du château, ou bien à la librairie « Ma main amie » tenue par son amie. C’était jusque là toujours ce que j’espérais. Mais lui aussi nous a quittés. La poésie de Philippe Jaccottet est très particulière, inclassable, elle fait montre d’une grande discrétion. En même temps, elle dit ouvertement les choses. Elle ne va jamais à l’image facile, elle est faite de sonorités qui font comme une musique en sourdine. Il n’y a pas mieux qu’elle pour évoquer les recoins de la nature, surtout ceux des « collines basses de la Drôme ». Ce portrait est inspiré d’une photo qui a beaucoup circulé, et qui le représente à un âge déjà avancé, les deux mains nouées sur le pommeau d’une canne, et le regard plein de sollicitude.

Oh, ce feu qui court encore une fois à l’aurore
Né du sommeil de l’horizon
et sur les vitres cette salive de gel
Le feu qui s’embrase parce que les montagnes sont couchées
parce qu’elles ont fermé les yeux
Dans le bleu du sommeil un feu commence
Montagnes rêvant
Amoureuses

(La Semaison, janvier 1963)

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portrait

André Compondu

En ce noël 21, André Compondu nous a quittés,
je l’ai bien connu, c’était un ami,
c’était un bon copain
c’est lui qui nous avait vendu
cette maison, celle où je suis
au moment où j’écris
c’est lui qui l’avait faite
ou bien refaite
cette maison qui existait déjà
quand sur elle, il mit son dévolu.
Alors il a comblé les trous,
il a refait la toiture,
il a mis le chauffage
un poêle à bois tout simple
et il a accroché devant la porte
un morceau de laine bleu
pour éloigner les mouches,
et peint les volets lavande
vingt ans il y a vécu
avec sa femme Michelle
ils venaient pour les vacances
ils roulaient la nuit
parfois il venait à vélo
car il était cycliste
et aussi bien sûr écologiste
notre ami Compondu
un jour il s’était ouvert le front
à un rebord de rond-point
et il portait depuis
de belles cicatrices.
Sa mort aujourd’hui
me rend triste
car j’aimais bien mon copain,
André Compondu.
Il était plein de sagesse,
il était moine zen
et m’avait dit un jour
que de sa vie l’on n’est pas maître,
que le train à jamais nous emporte
au nez et à la barbe
des années mortes.
En ce noël 21,
il est mort notre ami
il était très serein
à ce que l’on a dit,
il a du penser jusqu’au dernier moment
que la mort
était encore un bout de sa vie.

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portrait

Peter Handke

Peter Handke est un écrivain que j’aime énormément. Depuis L’angoisse du gardien de but au moment du pénalty jusqu’à La voleuse de fruits, en passant par La femme gauchère, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, les essais sur la fatigue, sur le juke-box ou la journée réussie ou bien encore L’essai sur le fou de champignons, ou bien la Nuit morave ou Mon année dans la baie de personne, et bien d’autres livres encore, il apporte à notre attention des récits, des méditations pleins d’une intense poésie, légèrement décalés. Le moment, l’instant brillent en eux comme des pierres précieuses. On lui a fait mille procès parce qu’il n’était soi-disant pas du bon côté pendant la guerre d’éclatement de la Yougoslavie, il a justifié sa position par la fidélité. J’ai été heureux lorsque j’ai appris qu’il avait enfin reçu le prix Nobel de littérature, en 2019. J’ai alors exécuté ce portrait d’après une photo parue dans Télérama. Si je le rencontrais un jour, je serais trop intimidé pour lui dire quoique ce soit. Dans une interview à la radio, un jour il racontait qu’il aimait sortir le soir pour aller à Paris, notamment pour suivre des matches de foot dans les bistrots, l’intervieweuse lui demandait s’il n’avait pas peur de prendre le RER tard la nuit. Il avait répondu : non, je crois que c’est moi qui fais peur aux autres.

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portrait

Joan Didion

Il y a quelques semaines, étant tombé sur un magnifique portrait photographique de Joan Didion dans « le Monde magazine », je m’en suis inspiré pour faire ce portrait à l’acrylique. Je viens d’apprendre son décès, à l’âge de 87 ans. Comme beaucoup de lecteurs j’avais fait sa connaissance à l’occasion de la parution en français de son livre « L’année de la pensée magique ». Ce devait être en 2006. Elle y relatait la mort de son mari avec qui elle avait un lien quasi fusionnel – bien qu’ils fussent tous deux écrivains, et donc en concurrence l’un avec l’autre – ainsi que la maladie, ayant entraîné un coma prolongé, de sa fille, Quintana, la même année. Ce livre demeure comme l’une des expressions les plus fortes et authentiques de ce qu’est un deuil. Ce que j’aime particulièrement chez elle, mais aussi chez nombre de ses confrères américains comme Jay McInnerney ou Bret Easton Ellis, c’est la manière dont elle s’empare de la vie, du quotidien, à bras le corps. Directement. Sans chichis.